Olivier Bello
Modéliste d'arsenal


Des chiffres surprenants

La taille de ce genre de bâtiment est impressionnante : la longueur comprise entre l'étrave et l'étambot varie entre 54,90 m et 56,50 m, la largeur hors bordage peut atteindre 14,30 m au maître-couple et le creux, qui correspond à la hauteur de cale au niveau de la plus grande largeur, est de près de 7 m ! Ceci explique que l'on estime qu'il faut environ 2 800 chênes centenaires pour construire la charpente d'un seul vaisseau, sachant que d'autres essences sont nécessaires : résineux pour la mâture, orme pour les affûts de canons, corps de pompes et entretoises, hêtre pour des barils, gayac pour les rouets des poulies, mais encore noyer, châtaigner ou peuplier.

Le principal métal utilisé est le fer, surtout pour le chevillage et le cloutage : les chevilles les plus longues peuvent atteindre 3,90 m de long pour un diamètre maximum de 5 cm, alors que les clous les plus grands ont une longueur de 0,4 m. Cette grande quantité de fer représente une masse d'environ 60 tonnes, auxquelles on peut ajouter environ 150 tonnes de lest et 240 tonnes pour le poids des canons et de leurs boulets, et aux alentours de 12 tonnes pour les ancres et près de 25 tonnes de cercles pour la futaille, sans parler des cerclages des mâts et des équerres qui consolident les courbes de baux, etc...

D'autres matériaux sont encore présents : plus de 100 tonnes de pierres pour le lest et près de 100 tonnes de cordages, sans parler des 34 voiles, souvent présentes en double en cas de besoin de remplacement !

C'est une véritable ville flottante de 775 hommes qui va partir en campagne pour une durée de 6 à 7 mois : l'état-major est constitué de 17 personnes, l'équipage de 585, la garnison de 118, plus les surnuméraires : chirurgien, apothicaire, valets, boucher, boulanger, etc...

Il faut donc bien nourrir tout ce monde : on charge ainsi le vaisseau de près de 500 tonnes d'eau et plus de 100 tonnes de vin, 50 de biscuits, 15 de fèves et de riz, 15 de salaisons diverses, 25 de farine, ainsi que du sucre, des fruits séchés, du beurre, de l'huile et du sucre, etc... Les cuisines demanderont 50 tonnes de bois comme combustible et consommeront d'autre part 150 moutons et plus de 500 poules qui nécessitent 10 tonnes de foin et 3 tonnes de grain.

On peut également noter que les seuls chantiers navals de Brest ont fait travailler jusqu'à 10 000 personnes en même temps, d'où une conséquence directe sur l'emploi des régions concernées par la construction de ces vaisseaux.

Lorsque le bâtiment prend enfin la mer, il pèse le poids respectable d'environ 3 000 tonnes.

Il va sans dire que les effets produits par la construction navale sur l'ensemble de l'économie du royaume est considérable : pour la sidérurgie de l'époque, sachant qu'il faut environ 1,5 tonne de fonte pour obtenir 1 tonne de fer et qu'une affinerie donne entre 130 et 170 tonnes de fer par année, on en déduit facilement la priorité que l'on fournit à cette industrie.

En ce qui concerne la production sylvicole, il faut rajouter à celle du bois de charpente issu de bois de futaie le bois de taillis âgé d'au moins 20 ans qui est indispensable à l'alimentation des hauts-fourneaux sous forme de charbon de bois pour fondre l'artillerie. On remarquera au passage que le transport du bois et des métaux vers les chantiers de construction a considérablement favorisé le développement des moyens de communication puisqu'en fonction des saisons, il se faisait soit par la route, soit par voie fluviale.

Enfin, on peut souligner les énormes besoins en chanvre pour la confection des voiles et des cordages : nombreuses sont les régions françaises dans lesquelles le chanvre et tillé ou broyé après avoir été roui.

Une dernière remarque : c'est une administration bien organisée et rigoureuse qui s'est ainsi mise en place, et c'est grâce à la gestion sérieuse de ses archives précises et détaillées que nous pouvons aujourd'hui encore plonger dans cette extraordinaire page d'histoire de la marine royale.

En conclusion, c'est donc l'ensemble des activités de la France qui est concerné par la construction navale et pousse à innover en permanence à tous les niveaux de l'économie pour perfectionner sans cesse cette redoutable machine de guerre dont le déclin ne se manifestera qu'avec l'apparition de l'utilisation de la vapeur comme force motrice.